Un investissement progressif des domaines publics et privés

Par Hugo Le Boulzec

             


  Depuis le protocole de Kyoto, l’objectif premier des négociations internationales sur le climat est d’aboutir à un accord mondial permettant un engagement des États sur une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si ces sommets restèrent longtemps l’apanage des États, les acteurs non-étatiques y ont progressivement acquis un poids considérable.

 



Une place croissante accordée aux acteurs non-étatiques

 

            Un mouvement de fond bouleversa les relations entre les États et les acteurs non-étatiques dans les années 1990. Le secrétaire général des Nations Unies affirmait ainsi en 1994 que «until recently the United Nations was considered a forum of sovereign states alone. Within the space of a few short years, this attitude has changed. Non-governmental organizations are now considered full participants in international life ».  Ce changement de mentalité est visible dans le cadre juridique de la Convention Cadre sur les Changements Climatiques[1].

 



Leurs actions : Investissements dans la résilience et l’économie bas-carbone

 

                Dans cette partie, nous distinguons différents types d’acteurs : villes et régions, entreprises, secteurs, collectifs citoyens, organisations non-gouvernementales.


·         Villes et régions

                Les initiatives de cette catégorie prennent différentes formes et ampleurs. Les villes se regroupent en réseaux permettant un partage des initiatives et des cibles, avec des objectifs contraignants ou non contraignants. Citons par exemple le réseau C40 dans lequel plus de 100 villes agissent et procèdent à un bilan annuel de leurs progrès via la plateforme CDP[2][3]. Ces initiatives portent principalement sur les transports[4] et les systèmes d’échange d’émissions.


·         Entreprises

De la même manière, les actions sont très diverses. Seule l’initiative Ultra-Low CO2 Steelmaking (ULCOS) fixe un objectif contraignant pour les participants. Elle regroupe 48 entreprises européennes et vise à réduire les émissions de CO2 de moitié lors de la production d’acier, sans fixer d’année cible. Les autres initiatives proposent aux entreprises de fixer leurs propres objectifs avec des plateformes d’aide fournissant des conseils et des actions possibles[5].


·         Secteurs

Les initiatives sectorielles sont définies comme des coopérations entre des entreprises et des acteurs (gouvernementaux et non-gouvernementaux). Leurs actions portent sur les secteurs de la finance, de l’énergie (énergies fossiles, efficacité énergétique), de la foresterie ou de l’agriculture. Si certaines fixent des objectifs contraignants [6], la plupart recherchent un dialogue entre les acteurs et une réflexion sur les moyens à disposition[7].


·         Collectifs citoyens [8]

Cette nouvelle classe d’acteurs apparaît dans la production d’électricité à grande échelle et se développe fortement en Europe. Ainsi, près de 50% de la puissance des énergies renouvelables installée en Allemagne appartient aux citoyens (2014), et 15% du parc éolien au Danemark (2009). En France, ces initiatives citoyennes se concrétisent avec par exemple le mouvement « Énergie partagée », et le parc citoyen éolien de Béganne[9]. Elles prennent des formes distinctes, du regroupement de particuliers visant à « reprendre la main » sur leur production d’énergie, avec un souhait de développer des technologies bas-carbone, au regroupement de professionnels (par exemple agriculteurs) au niveau régional permettant de faire baisser les coûts par une réduction du nombre de recours.


·         Organisations Non-Gouvernementales

Les ONG ne proposent pas de solutions énergétiques, mais des actions de sensibilisations et de liaisons entre acteurs. Elles possèdent une grande influence à la fois sur la société civile et sur les gouvernements, et peuvent prétendre à des accréditations lors des COP. Ainsi, 1000 accréditations ont été distribué à la COP1, 4000 à la COP3 et jusqu’à 21000 en théorie à la COP15[10]. Ces organisations agissent aussi massivement lors des sommets en stimulant des cortèges citoyens dans les grandes villes du monde (par exemple l’initiative Coalition Climat 21).

 



Quelle portée au niveau des émissions ?

 

                À présent, concentrons-nous sur l’effet de ces initiatives. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement estime qu’une réduction de 17 GtCO2 est nécessaire pour atteindre l’objectif 2°C en 2020. Actuellement, les contributions volontaires des États (INDC) contribueraient à hauteur de 5 à 7 GtCO2, aboutissant ainsi à une différence de 10 à 12 GtCO2 avec l’objectif. Quelle pourrait-être la contribution des acteurs non-étatiques ? Les chiffres présentés dans le Tableau 1 proviennent du rapport Climate commitments of subnational actors and business, se focalisant sur 180 initiatives de grande ampleur réparties à travers le monde.



Tableau 1 : Estimation de l’impact des initiatives par secteur

Acteurs ou secteurs

Réduction en GtCO2 en 2020

Villes

1,08

Régions

0,76

Entreprises

0,63

Éclairage

0,06

Cuisson

0,12

Méthane et autres polluants à courte durée de vie

0,09

Réduction de la déforestation

0,1

Agriculture

0,3

Total recoupement

< 1

Total

3,14

Finalement, la réduction permise par ces actions s’élèvent à 3,14 GtCO2, avec cependant un recoupement avec les promesses des États estimé inférieur à 1 GtCO2. Ces chiffres sont à prendre avec recul puisque de nombreuses initiatives de faibles ampleurs ne sont pas prises en compte. Toutefois, plus qu’un objectif quantitatif, ces initiatives volontaires traduisent deux choses : un réel souhait de changement des acteurs non-étatiques et une preuve d’efficacité des actions concertées. Cela constitue un message fort à destination des négociateurs.

 





Un signe fort : le désinvestissement de l’économie haut-carbone.

 

Une seconde catégorie d’initiatives rassemble les investisseurs financiers privés. Selon le rapport Measuring the growth of the divestment movement, 436 institutions et 2040 privés se sont engagés à ne plus investir dans les énergies fossiles. Ils représentent 2600 milliards de dollars. Cela s’explique par le fait que les entreprises considèrent de plus en plus « le carbone comme un risque » selon Henri de Castries, PDG de Axa. Ainsi, le fonds de pension norvégien – 900 milliard de dollars de capitalisation – s’est retiré du milieu du charbon. Si le montant du désinvestissement ne pèse pas encore sur les capitalisations boursières des majors, cela traduit une dynamique favorable.






[3] Pour plus d’informations, voir le rapport Climate commitments of subnational actors and business. D’autres initiatives sont le Compact of Mayors ou le Carbonn Climate Registry.

[4] Voir le rapport Better growth, better climate.

[5] Citons par exemple Caring for Climate, CSI ou BELC. Pour plus d’informations, voir le rapport Climate commitments of subnational actors and business.

[6] Par exemple en.lighten et Global Alliance for Clean Wookstoves

[7] World Green Building Council, Super-efficient Equipment and Appliance Deployment, GGFR pour une réduction du torchage, the Bonn Challenge pour une reforestation de 150 millions d’hectares ou the New Vision for Agriculture

[8] Voir Allemagne : les structures décentralisées, moteur des énergies renouvelables, par Henrike Sommer dans La revue de l’Énergie n°623

[10] Avec toutefois des problèmes dans les faits pour cette dernière (non reconduction, non validité des badges).

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