L’initiation d’un marché du carbone

Par Valentin Maillot


Afin d’inciter les entreprises qui ont un fort impact environnemental à réaliser des réductions de gaz à effet de serre, on ne peut pas compter exclusivement sur l’amélioration de leur image marketing : il faut avant tout un signal prix, ou au moins des contraintes législatives. On distingue trois modes d’actions principaux complémentaires : les taxes, les normes et les quotas. Les quotas ont entre autres l’avantage de maîtriser concrètement les quantités de CO2 rejetées et sont donc plus précis que les taxes pour limiter les émissions (avec les taxes, il est possible de dépasser la cible en payant plus cher).

 

Ces instruments de fiscalité environnementale ne sont pas nouveaux : ils ont été mis en place dès le début des années 1970, et même 1960 en ce qui concerne les normes. Mais encore faut-il les faire appliquer au niveau international.

 

En 1992, lors de la conférence de Rio, quelques pays européens, au premier rang desquels la France, proposent l’instauration d’une taxe internationale sur le CO2, mais se heurtent à l’opposition des États-Unis. L’administration Clinton préfère quant à elle opter pour la mise en place d’un marché légalement contraignant des émissions (Quantitative Emission Limitation or Reduction Objectives) comparable à celui mis en œuvre aux États-Unis au début des années 1990 pour le SO2 (Clean Air Act), dans l’objectif de lutter contre les pluies acides. Les négociations lors du protocole de Kyoto en 1997 vont dans ce dernier sens puisqu’elles accordent la possibilité pour un pays de réaliser dans un autre pays les réductions qui lui sont imposées[1] et donnent naissance au système Cap and Trade[2], qui permet l’échange de quotas d’émissions. En 2000, les Européens sont convaincus des mérites de la limitation par les quantités et abandonnent l’idée de la taxe qu’ils ont discutée sans succès tout au long des années 1990. Cependant, avec l’arrivée de Georges Bush au pouvoir en 2001, les Etats-Unis se retirent du protocole de Kyoto, rendant impossible la mise en place d’un système d’échange de quotas à l’échelle internationale. L’Union Européenne s’attelle donc à la construction de son propre marché des quotas : le European Trade System (ETS). Il sera lancé en 2005.

 

Mais l’instauration d’un système international de quotas de CO2 ne signifie pas pour autant l’abandon de toute idée de taxe carbone. En effet, une fois spécifiés les objectifs nationaux et la possibilité d’échanges internationaux de quotas, il reste à construire des systèmes d’incitation à l’intérieur de chaque pays, via un système de poupées russes : international, régional-européen, national, local…

 

Cependant, pour que les deux systèmes soient compatibles, et uniformes à travers le monde, il faut un signal-prix donné au carbone. Les premiers chiffres, au début des années 1990 et fondés essentiellement sur l’estimation d’un niveau seuil présumé déclencher des changements de comportement, recommandent un prix de 65 €/tCO2. En 2006, le rapport de la commission Valeur Tutélaire du Carbone (dit « rapport Quinet »)  fait émerger un consensus autour d’une valeur de 100 €/tCO2 pour 2030 et 200 €/tCO2 en 2050, soit une augmentation de 4 €/tCO2/an. Pour tenir ces objectifs, la valeur associée en 2010 aurait dû être de 45 €/tCO2, mais le souci de ne pas imposer une première marche trop élevée conduit à retenir plutôt 32 €/tCO2 : à l’été 2009, le prix des quotas européens s’établissait un peu en-dessous de 15 €/tCO2. Cependant, à l’heure actuelle, le prix du carbone se situe aux alentours de 5 €/tCO2, à cause de la crise économique qui a fait chuter les émissions de CO2 et du fait qu’on n’a pas retiré de quotas du marché en conséquence (cf graphique).

 


Analyse du système ETS


Pour contrebalancer la chute des cours du carbone, il faudrait réduire le plus tôt possible le nombre de quotas disponibles sur le marché. Cependant, le Parlement Européen a refusé en avril 2013 d’adopter cette proposition. Il s’est en revanche prononcé en février 2015 pour la création d’une « réserve de stabilité de marché » pour fin décembre 2018 (soit trois ans plus tôt que ce qui était proposé par la Commission) qui permettrait de retirer les quotas en période de crise et d’en ajouter en période de croissance.

 

Le système devrait être relancé pour les années à venir avec la proposition « paquet d’été » de la Commission Européenne de juillet 2015 qui vise à réduire de 21% la quantité de quotas alloués entre 2021 et 2030 et de soumettre aux enchères une partie croissante de ces quotas (57 %), le reste continuant à être attribué gratuitement (en partie pour lutter contre la perte de compétitivité et la délocalisation). Mais cela devrait conduire à un prix de 17 € en 2020 et 30 € en 2030, soit très en-dessous des seuils nécessaires pour soutenir la transition énergétique.

 

La loi de transition énergétique française (juillet 2015) fixe quant à elle un prix du carbone à 56 € la tonne en 2022 et 100 €/tCO2 pour 2030.

 




Notes :

[1] Voir fiche 16 « Le protocole de Kyoto » Mécanisme de développement propre

[2] Voir fiche 16 « Le protocole de Kyoto » Mécanisme de permis négociables


Sources :

· Criqui, P. (2009). Au cœur du futur régime climatique international : taxes ou quotas CO2 ? In Tirole, J. (ed.). Politique climatique : une nouvelle architecture internationale. Paris : La Documentation française. pp. 261-270.

· Criqui, P. (2009). La Contribution Climat Energie : enfin un prix pour le carbone ! Economies et Sociétés. Série Economie de l’énergie, n° 10 (EN11), pp. 1681-1688.

·https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_communautaire_d%27%C3%A9change_de_quotas_d%27%C3%A9mission

· http://www.20minutes.fr/planete/1656343-20150723-loi-transition-energetique-va-changer-quadruplement-prix-carbone

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